De son parcours au cœur du monde coopératif, Elisabeth Bost en a tiré un livre, « Aux Entreprenants Associés » (éditions Repas). Un mode d’emploi tout autant qu’un manifeste pour le statut d’entrepreneur-salarié. Une histoire récente mais pourtant déjà riche. Riche de solutions mais aussi de questions. Alors, où en est-on ?
Elisabeth Bost a la voix posée et ferme. De celle qui en vu d’autres. Le propos se veut précis. Les mots claquent. A l’abri derrière une modestie sincère, elle passe alors rapidement sur son rôle prépondérant dans l’apparition en France d’une nouvelle forme d’entreprise. « J’ai eu de la chance dans mon parcours professionnel. Formée à la base en comptabilité et en économie, j’ai pu m’ouvrir à l’insertion au cours d’une expérience en entreprise d’interim spécialisée dans le domaine. Je sentais qu’il y avait de la place pour une alternative à des structures comme les Boutiques de Gestion par exemple. Alors, à partir de ce que je percevais, des besoins exprimés sur le terrain par les demandeurs d’emploi, et avec l’expertise juridique du cabinet Argos, nous avons créé la première "couveuse" à Lyon. Cap Services était né. »
« On mélange souvent individualisme et autonomie »
A l’heure où le concept même de travail est souvent associé aux notions de stress, d’incertitude voire de manque de considération, nombre de salariés aspirent à ce fameux « autre chose ». L’indépendance serait donc la solution idoine à ces nouveaux besoins sociaux non satisfaits ? Elisabeth Bost opte pour le contrepied : « Tout le monde s’imagine entrepreneur. Dans un contexte ambiant qui tend au libéralisme à tout crin, le "patron" est vu comme le stade ultime de la réussite personnelle et professionnelle. C’est le problème. D’une, tout le monde ne pourra ou ne saura pas devenir entrepreneur. De deux, on mélange souvent individualisme et autonomie. L’accès à l’autonomie, qui reste l’un de nos objectifs prioritaire, ne peut se faire tout seul dans son coin. A mon sens, l’entreprise, c’est avant tout une aventure collective. Ne l’oublions pas. »
Ecoute, solidarité, partage… L’idée ainsi théorisée fait rêver. Mais alors pourquoi le modèle n’essaime pas davantage ? « Le problème est que les pays dits "développés", à la différence de l’Amérique Latine par exemple, manquent de cette culture collective et cloisonnent fortement les activités économiques. Les CAE s’inscrivent hors de ce cadre. Elles sont ouvertes à chacun, peu importe qui il soit et d’où il vienne. Seule la viabilité du projet compte. Cela peut être difficile à appréhender pour qui fonde sa réflexion sur le modèle capitalistique classique. »
« S’associer est un choix »
Elisabeth Bost milite pour une mutualisation pleine et entière de l’activité comme une des clés du progrès social. Un mode de fonctionnement et de gouvernance solidaire et pérenne qui irait jusqu’au partage du risque. « Car nous le savons tous, et c’est humain, dès que les choses vont un peu mieux, nous avons tendance à nous replier, à désirer conserver pour nous les quelques fruits de la réussite. C’est le danger. Nous devons donc nous imposer ce devoir permanent d’entraide. S’associer est un choix. Il faut l’assumer jusqu’au bout. »
L’alternative semble en tout cas de plus en plus crédible si l’on réfère à l’évolution de l’opinion sur ce thème de la gouvernance collective. Ainsi, et même si des questionnements demeurent, la prise en compte progressive du secteur économique de l’ESS dans les politiques publiques semble engager le modèle coopératif sur la voie de la reconnaissance. Un optimisme que l’ex-déléguée du réseau Coopérer pour Entreprendre nuance tout de même. « L’obstacle institutionnel perdure. Alors que les élus sont un relais essentiel de notre vision économique. La reconnaissance pleine et entière du statut d’entrepreneur-salarié, notamment, passe par là. Quelques-uns peuvent être convaincus par nos propositions mais ce n’est pas la majorité. Loin de là. Il s’agirait de dépasser les clivages partisans et d’agir vraiment pour le bien commun. De plus, les édiles locaux ne raisonnent bien souvent qu’à travers les chiffres : nombre de créations d’entreprises, chiffre d’affaire généré… Certes c’est important, mais il faut aller au-delà des statistiques immédiates pour penser le long terme. Et puis, nous pouvons aussi jouer à ça… Coopaname, c’est aujourd’hui plus de 600 personnes, plus de 6 millions d’euros de chiffre d’affaires alors qu’il était de 30 000 euros il ya 10 ans…. Sans être prétentieuse, c’est une vraie belle réussite qui peut avoir valeur d’exemple. Et donc d’argument tangible. »
Seulement, les faits sont tenaces. A l’heure de créer son entreprise, plus d’un porteur de projet sur deux fait ainsi le choix de l’auto-entreprise. [1] « Nous militons au jour le jour pour un changement profond des mentalités. Cela prend du temps. Battons en brèche cet écueil de la méconnaissance !
Cela peut passer par la base, par l’éducation. C’est le sens de la démarche que nous menons en partenariat avec l’Université de Marne-la-Vallée au sein d’une chaire dédiée à l’ESS. Mais pourquoi ne pas aller plus loin et introduire ce volet économique dans les enseignements dispensés au lycée ? L’histoire des CAE est certes récente, mais celle du mouvement mutualiste est séculaire [2] Nous sommes le produit de toute cette tradition. Il faut le revendiquer et l’expliquer. »
« Les portes s’ouvrent un peu. A nous de nous imposer avant qu’elles ne se referment. Soyons motivés et vigilants. Franchement, c’est le moment ou jamais. »