Ancien directeur de l’Union Régionale des SCOP de l’ouest, créateur du cabinet de développement coopératif Anakena et auteur du livre « Réapprendre à Coopérer » (éditions Yves Michel), Hervé GOUIL nous livre son point de vue sur la notion d’entreprise partagée.
S’il est délicat de parler d’entreprise partagée pour les CAE, ce n’est pas pour minimiser la générosité de la démarche, c’est que l’expérience des Coopératives d’Activités et d’Emploi bouleverse radicalement la conception même de l’entreprise.
Le choix du statut coopératif traduit tout d’abord la volonté de mutualisation de moyens et de création de liens entre producteurs, en ouvrant la capacité d’implication, d’initiative et de participation à la gestion commune, à tous les entrepreneurs.
Mais ceux-ci doivent saisir, peut être en étant attentifs au vocabulaire spécifique de la gestion coopérative, que l’on ne partage justement pas comme dans une autre entreprise et que l’on s’interdit justement de tout partager. Partager au sens premier ; c’est diviser en parts.
La part social, concrétise pour l’associé sa participation au capital de la société. Si le capital est constitué de l’ensemble des parts sociales, son caractère variable permet d’accueillir facilement de nouveaux associés. Mais surtout, le pouvoir sur l’entreprise n’est pas partagé en fonction du montant de capital détenu.
La part travail (autre nom de l’intéressement et de la participation) privilégie le partage équitable du résultat entre tous les salariés, associés ou non. Elle a la primauté sur la rémunération du capital.
Enfin, la création de réserves impartageables fini de distinguer la coopérative des entreprises « patrimoniales ». Elle fonde la propriété collective d’une entreprise « invendable », dont on ne pourra donc pas se partager la valeur de revente.
C’est là que se poursuit un combat théorisé sans doute d’abord par Proudhon et mobilisant encore aujourd’hui de nombreux économistes et juristes. La théorie économique classique ne distingue pas en fait l’entreprise de la société commerciale qui la porte juridiquement. En vendant ses parts, l’actionnaire majoritaire d’une société « vend l’entreprise » et se libère de l’ensemble des promesses faites aux différentes parties prenantes. En revanche, une coopérative est d’abord une entreprise, un projet, un processus vivant, qui s’adosse à un statut juridique, mais se transmet sans se laisser réduire à l’état d’un objet négociable.
Ainsi, les moyens constitués pour ce projet, plus qu’être partagés, vont être offerts aux nouveaux arrivants, aux nouvelles générations. Progressivement, les coopérateurs assument solidairement la responsabilité de l’entreprise commune, sans en revendiquer la propriété. Le don qu’ils ont reçu les engage à donner à leur tour.
Mais, alors que les salariés de la plupart des SCOP partagent une même offre, c’est-à-dire ont en commun un projet spécifique de production, les membres d’une Coopérative d’Activité et d’Emploi partagent le fait même d’entreprendre, au-delà de la forme des propositions que leurs compétences et leurs désirs façonnent.